mercredi 27 mars 2013

Comment j'ai Souhaité la Mort de mon Fils (XIII)

Il y a des fois où la réalité dépasse toutes les fictions que l'on aurait pu imaginer. Il y a peut-être pire, ce n'est peut-être pas hors du commun, mais ceci est notre histoire, notre cauchemar.

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Chronique 13 : Les Options Devant Nous

Jeudi 21 mars – Vendredi 22 mars.

Le jeudi matin, nous sommes fébriles car nous allons rencontrer la directrice de l’Association Emmanuel. Nous trouvons toujours l’adoption comme une solution drastique et nous rencontrons la dame parce que nous voulons au moins avoir toutes les informations sur les diverses options qui s’offrent à nous.

La dame est d’une extrême gentillesse et prend le temps de nous écouter et de nous raconter son vécu et le vécu d’autres personnes. Elle nous explique que pour elle, si l’enfant handicapé ne peut être avec ses parents biologiques, la meilleure solution est l’adoption. Elle pense que ça fait une différence que la famille d’adoption choisissent l’enfant pour ce qu’il est, comme il est et veulent en faire un membre à part entière de leur famille et ce pour toujours, pas uniquement jusqu’à 18 ans comme les familles d’accueil. Bien que l’adoption ouverte ne soit pas reconnue au Québec, elle nous assure que si la famille adoptive est consentante, nous pourrons continuer à voir notre enfant ou bien à tout le moins, recevoir des nouvelles de temps en temps de leur part.

Nous posons les questions qui nous chicotent face à cette option, à propos de la culpabilité de ‘donner’ notre enfant, de s’en débarrasser. Elle nous affirme qu’il ne faut pas le voir comme ça, mais comme un geste de grande humilité et un cadeau à une famille qui veulent s’en occuper et en prendre soin. Un enfant ne peut demander mieux. Elle décide de nous mettre en contact avec deux couples qui étaient dans la même situation que nous et qui ont fait appel à l’association.

Suite à cette rencontre, l’option de l’adoption ne nous semble plus si drastique et insensée. Mais nous manquons encore beaucoup de renseignements sur les familles d’accueils et surtout sur la condition de notre fils.

Nous nous rendons auprès de Nicolas. Rien de vraiment nouveau à signaler. Nous lui donnons 20 mL au biberon qu’il boit en 20 minutes. Nous en sommes bien contents, c’est un beau progrès. L’urologue vient nous voir pour nous confirmer l’hydronéphrose et le reflux. Nicolas devra rester sous antibiotiques jusqu’à trois mois où il aura un suivi en urologie.

Étant donné qu’Anabelle est chez sa mamie, nous en profitons pour s’offrir un souper au restaurant. Nous discutons de toute cette histoire et écrivons toutes nos questions pour les médecins, les travailleurs sociaux et l’équipe de soutien aux familles. Nous voulons des précisions et bien comprendre tous les choix devant lesquels on nous a mis. Demain nous aurons une autre rencontre.

Durant cette soirée-là, nous écoutons un extrait d’une émission de radio parlant de deux familles avec enfants handicapés qui parlent de ce qui se passe après 21 ans lorsque les parents ont la charge totale de l’enfant. Cela nous avait été suggéré par une personne de la famille. Au début de l’émission, nous commençons à nous sentir coupables de vouloir placer Nicolas, de ne pas avoir le même courage que ces deux familles. Mais plus l’émission avance et plus les aspects négatifs apparaissent et finalement, ceci nous aide à prendre la première grande décision face à cette situation. Pour le bien de Nicolas, de nous, de notre couple et d’Anabelle, il est décidé que nous serons dans l’impossibilité de le garder avec nous et qui plus est, nous décidons que dans ce cas-là, ça ne serait pas une bonne idée de le ramener à la maison.  

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Nous arrivons à l’hôpital vers 10 :00 le lendemain matin. Nicolas est branché sur son EEG. D’une certaine façon, j’espère qu’il fera une désaturation pour que les neurologues voient si c’est une convulsion ou non. Nous voyons sur le rapport des infirmières que Nicolas a désaturé environ cinq fois ce matin vers la fin de son gavage, mais depuis, plus rien. Nous ne pouvons qu’attendre. L’infirmière nous apprends que Nicolas sera branché aussi longtemps qu’il n’a pas fait une désaturation. Si jamais il tarde à en faire une, ils vont abaisser le flot d’air pour tenter de provoquer quelque chose.

Nous ne pouvons  prendre Nicolas, alors nous restons assis devant l’écran d’ordinateur  qui affiche l’activité du cerveau de Nicolas. Je trouve les lignes un peu moins plate. Il semblerait y avoir plus d’activité qu’avant ce qui serait bon signe. Nicolas est stable, rien ne se passe. Tout à coup, l’ordinateur cesse d’enregistrer pendant un long moment, il semble y avoir un problème de connexion. Et comble de malheur, Nicolas désature pendant ce temps-là. Il devient une fois de plus bleu, il arrête de respirer et a le regard fixe. Il se reprend par lui-même. On voit que dès qu’il se remet à respirer, sa saturation  en oxygène remonte rapidement.

Nous avertissons les infirmières que l’ordinateur n’enregistre plus et qu’ils ont justement manqué une convulsion. Une technicienne vient réparer l’ordinateur et s’arrange pour que nous ne puissions plus voir ce qui s’affiche à l’écran. À partir de ce moment-là, Nicolas fait encore plusieurs désaturations et apnées qui seront enregistrées par l’ordinateur. Les neurologues nous confirment que nous avions raison, ce sont vraiment des convulsions. Ils devront ajuster encore une fois la posologie de ses anti-convulsants.

Nous nous retrouvons alors devant notre équipe médicale pour cette ultime rencontre d’éclaircissement. Nous posons toutes nos questions et ils les prennent toutes en note. Ils y répondent une à une sans en prendre une à la légère.  

Nous voulons comprendre un peu l’histoire de nos choix et leurs conséquences, car souvent le confort et la normalité peuvent se contredire et de plus, nous ne savons pas vraiment quel est l’impact de ces choix. Par exemple, je leur dis que pour moi, le minimum pour un enfant, c’est qu’il puisse manger et respirer par lui-même ou à tout le moins qu’il ait la possibilité de le faire un jour. C’est pour moi la base de la vie et à ce chapitre, Nicolas en est incapable seul et de façon sécuritaire.  Nous comprenons que tous ces choix nous sont proposés à nous, pour notre situation particulière, car leur évaluation de la situation l’exige. Si nous voulons ramener Nicolas à la maison ou dans un environnement plus propice, il doit diminuer son flot d’air. Mais son flot d’air est nécessaire et quand nous avons essayé de le diminuer, il s’est mis à convulser. C’est là que le médecin nous dit que Nicolas est surement dans un certain cercle vicieux où les convulsions causent des apnées et un manque d’oxygène et qu’en même temps, un manque d’oxygène peut mener à des convulsions.

Ils nous mettent finalement LE choix sur la table. Celui que nous voulions depuis le début, mais celui que nous sommes incapables tout à coup de concevoir. Celui de lui enlever son flot d’air. Le médecin nous dit que dans ce cas-là, il est fort probable que la condition de Nicolas se détériore. Pour combien de temps? Impossible à dire. Mais que selon toutes vraisemblances, ça amènerait à la mort. Nous en sommes bouche-bée. Il nous semble inconcevable de nous faire proposer un tel choix.

Le médecin me demande pourquoi ça me choque tellement. Je lui réponds qu’il me semble que maintenant qu’il a fait des progrès, on ne peut lui enlever tout ça. Puis il me demande quel progrès Nicolas a fait en trois semaines. Il est toujours dépendant de son oxygène, il est toujours gavé, il a toujours le regard fixe, ses réflexes ne se sont pas améliorés, ni son hypotonie. En y réfléchissant, c’est vrai qu’il n’a pas vraiment fait de progrès. Et c’est là qu’il veut nous amener. C’est de considérer Nicolas pour ce qu’il est et ce qu’il montre depuis trois semaines et ce qu’il démontrera dans les prochaines semaines. C’est ça qui pourra nous indiquer mieux ce que Nicolas sera en mesure de faire et ce qu’il ne pourra pas faire. Ce n’est pas l’EEG, le MRI ou tous les autres tests qui nous le diront. C’est Nicolas lui-même. Et de toute évidence, jusqu’à présent, il ne nous a pas montré grand-chose.

Le médecin nous confirme aussi que son EEG de base s’est amélioré. Que son Burst-Suppresion pattern n’est plus vraiment présent. Par contre, l’activité enregistrée dans tout son cerveau est complètement désorganisée, chaotique. Rien ne se passe comme il se devrait.

L’équipe de soutien aux familles continue de nous demander ce que nous voulons pour Nicolas, comment nous entrevoyons l’avenir pour lui. Nous avons toujours du mal à répondre à ces questions. Il y a trop d’informations, trop d’impact, de lourdeur et de douleur à nos choix. La tête nous tourne.

Nous demandons au travailleur social s’il peut accélérer le processus de contacter notre CLSC pour nous faire ‘entrer’ dans le système afin qu’on puisse avoir des réponses à nos questions concernant les familles d’accueils, placements ou infirmières à domicile. Celui-ci semble bien hésitant, ça semble compliqué. On dirait qu’il ne veut pas vraiment faire le travail. Le médecin doit lui pousser dans le dos.

En revenant dans la voiture cet après-midi-là, nous sommes encore bien confus face à la situation. Nous en parlons dans la voiture. Nous comprenons ceci : Nous faisons face à 5 choix :

1.      Débrancher Nicolas et le ramener dans un endroit plus confortable et voir ce qui se passera.

2.      Laisser Nicolas où il est et attendre et faire des tests pour voir comment il va s’améliorer.

Si nous réussissons à diminuer le flot d’air de 2 litres/minute à 1 litres/minute (Il est possible d’avoir une machine portative) :

3.      Le mettre dans une famille d’accueil.

4.      Le confier en adoption.

5.      Le ramener à la maison.

En regardant nos choix nous nous rendons compte que rien ne sera facile et quel que soit le choix, il sera déchirant , amènera son lot de tristesse et un deuil immense.

Ce soir-là, Anabelle se met à crier qu’elle a mal au ventre. Elle crie comme on ne l’a jamais vu crier. Nous ne comprenons pas ce qu’elle a. Elle finit par vomir. Elle devient complètement blême, amorphe et molle. Elle ne répond pas lorsque nous lui parlons. On dirait un corps de spaghettis. Jamais elle ne nous a fait une telle chose. Nous finissons par la coucher, certains que c’est une gastro. Toutefois, pendant un court laps de temps, je me suis mis à penser que si elle devait avoir quelque chose de grave, nous ne passerions pas au travers (surtout pas en ce moment).

Elle a finalement dormi 45 minutes, temps pendant lequel j’allais régulièrement vérifier si elle respirait encore. Après son petit dodo, elle était redevenue la pimpante petite fille qu’elle était. On l’a beaucoup serré dans nos bras.

Ce soir-là, j’ai parlé à ma mère. Elle aussi en est venue à la conclusion que nous ne devrions pas ramener Nicolas à la maison, que la douleur n’en serait que plus grande et les choix que plus difficiles.
Mon père est passé à la maison ce soir-là. Nous lui faisons une mise à jour. Nous voyons toute la tristesse que ça lui cause. Il reste sans voix quand on parle d’adoption. Tout le monde espère presque que Nicolas parte par lui-même. On l’espère par amour, par tendresse et non par dédain. Et c’est de là que vient toute cette tristesse.  Et c’est dans le doute et la confusion que nous allons nous coucher, avec des choix qui tournent sans cesse dans notre tête.

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