mercredi 13 mars 2013

Comment j'ai souhaité la mort de mon fils (IV)

Il y a des fois où la réalité dépasse toutes les fictions que l'on aurait pu imaginer. Il y a peut-être pire, ce n'est peut-être pas hors du commun, mais ceci est notre histoire, notre cauchemar.

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Chronique 4 : De l’espoir au désespoir
Jeudi 28 février 2013

Le lendemain matin, nous nous réveillons comme si c’était une journée ordinaire. La routine se réinstalle rapidement. Déjeuners, habillage d’Anabelle, babounes d’Anabelle (elle  a 2 ans et demi en plein terrible two, cette réalité-là aussi est revenu rapidement). Nous la reconduisons à la garderie et prenons le chemin de l’hôpital. Nous reprenons nos visages de parents de Nicolas et laissons derrière notre masque de parents d’Anabelle. L’ambiance dans la voiture s’assombrit, il n’y a que le bruit de fond de la radio, nous parlons que très peu.

Nous recevons aujourd’hui la visite d’une amie de maman, une collègue de travail. Cette dernière a l’expérience d’avoir  un enfant différent,  avec un syndrome génétique et présentant une déficience intellectuelle.

À notre arrivée, l’infirmière est assise en train de donner le biberon à Nicolas. Elle nous dit qu’il a passé une bonne nuit, a bu au biberon 50 ml de lait préparé, le matin même. Nous sommes très contents, c’est un beau progrès. Par contre, nous remarquons qu’il a un tube dans le nez. L’infirmière nous dit que la nuit passée, Nicolas était trop endormi pour prendre le biberon alors ils ont été obligé de lui installer un tube de gavage et le nourrir ainsi. Nous sommes un peu déçus. Nous demandons si maman peut lui donner le sein pour compléter son boire. Nicolas ne veut rien savoir. Après le beau succès de la journée précédente, ceci constitue pour nous un recul. La déception se lit dans le visage de maman. De plus je remarque que Nicolas n’a pas l’air bien. Même quand il dort, ça ne semble pas être un sommeil paisible. Il grimace, se tortille.

On nous annonce aussi que Nicolas a eu un test de rayon X. Ils n’ont rien remarqué de vraiment spécial, sauf un petit quelque chose de mineur à une vertèbre (encore un autre truc mineur!). Mais les poumons sont corrects au moins.

Une échographie cardiaque de contrôle est faite sur Nicolas. En même temps, maman s’occupe de la seringue de gavage. C’est à partir de ce moment que cette journée a pris une allure de cauchemar.

Pendant l’échographie, Nicolas s’est mis à désaturer (perte d’oxygène). Sa peau prenait une couleur bleutée-violette et il arrêtait de respirer. Les infirmières rapidement se sont mises à lui faire un massage et lui donner de l’oxygène supplémentaire.  C’est déjà assez traumatisant de voir son enfant arrêter de respirer, mais quand ça arrive cinq fois de suite, ça en devient presque insupportable.  C’est à ce moment que maman et moi nous nous sommes regardé. Pas besoin de parler, nos yeux se comprennent. C’est maman qui exprime en premier ce sentiments qui nous habite : ''Ils devraient le laisser partir, ça n’a pas de bon sens.'' Et moi de répondre simplement : ''oui''. Je la serre dans mes bras pour tenter de lui apporter un peu de réconfort.

Les infirmières réussissent à le stabiliser et ne comprennent pas pourquoi il fait ça. Maman va rejoindre son amie et moi je reste auprès de Nicolas. Le médecin vient le voir. Les infirmières racontent ce qui s’est passé. Au même moment, Nicolas désature une fois de plus. Quand Nicolas arrête de respirer, il ne montre aucun signe caractéristique. Le médecin ne comprend pas trop pourquoi, mais il me dit que chez les nouveaux nés, il est très difficile de déceler une convulsion par des signes physiques. Il demande que l’on fasse un EEG (électroencéphalogramme) et une IRM le plus tôt possible.

Après toutes ces émotions nous trouvons la force d’aller dîner. L’amie de maman nous raconte son expérience avec son enfant avec déficience intellectuelle : les hauts, les bas, les joies et les peines. Elle nous confirme par le fait même que toutes les émotions contradictoires que nous éprouvons sont normales dans notre situation : déni, colère, même le souhait de le voir partir de lui-même pour abréger ses souffrances. 

Le temps file et finalement, le médecin de garde vient nous rejoindre dans la petite salle à dîner dédiée aux parents de l’unité et fait sortir toutes les autres personnes s’y trouvant. Nous sommes maintenant seuls avec lui et l’infirmière s’occupant de Nicolas. Ça n’annonce rien de bon. Le cœur nous serre.

Le médecin nous confirme que l’EEG montre que Nicolas fait des convulsions. La nouvelle nous jette à terre. C’est maintenant officiel, ce que nous redoutions le plus se produisait : le cerveau était atteint. Maman peine à retenir ses larmes et je ne fais guère mieux. Le médecin nous parle de ce qui peut se passer dans son cerveau et comment les convulsions peuvent causer des arrêts respiratoire. Pour être franc, j’écoute à peine. Une seule idée me trotte dans la tête, je n’ai qu’une seule question à poser au médecin et je ne sais même pas si j’aurai le courage de m’exprimer tellement je trouver l’idée d’une cruauté inimaginable. Le genre de chose qu’on ne penserait jamais à demander.

J’amorce finalement ma question sans savoir si j’aurai le courage de la terminer. Au milieu de ma phrase, je sanglote, ma voix tremble. Je tente de me ressaisir. Je ne me rappelle plus vraiment les mots exacts, mais c’était à peu près ceci : '' Est-ce qu’il y a un moment où on peut décider de laisser faire, que c’est assez?''. C’était la première fois que j’exprimais tout haut l’idée de voir mon fils mourir ou même de prendre la décision de le laisser mourir.  En même temps, je sens tout le poids de la culpabilité de pouvoir même évoquer une chose pareille. Je suis tiraillé entre l’instinct parental, la lourdeur de la tâche d’élever un tel enfant, la souffrance que je semble lire sur le visage de Nicolas.

Le médecin prend ma question au sérieux et me dit que c’est en fait très à propos comme question. Il nous explique ce qui est légal et non légal, dans quelles circonstances on peut prendre cette décision, c’est-à-dire uniquement si l’enfant est dépendant de la technologie. Il nous renverse la question à savoir qu’un jour il pourrait nous demander lui-même s’il doit continuer à s’acharner pour le réanimer à multiples reprises.

Maman finit par sortir son trop plein d’émotion en laissant échapper un cri et en s’effondrant en larmes et en pleurs. Elle demande au médecin quel genre de vie Nicolas pourra avoir. Celui-ci n’a pas de réponse à nous donner. Maman a alors un courage inouïe, un courage que moi je n’aurais jamais eu, peut-être parce que je suis un gars, mais elle demande de l’aide psychologique. Elle le demande pour elle, pour moi, pour nous, pour Nicolas, pour Anabelle. Elle sait que nous ne passerons pas au travers sans aide et support. Les amis et la famille ne seront pas suffisants. Je l’en suis reconnaissant d’avoir eu cette force-là à ce moment.

Nous finissons par nous calmer un peu dans une ambiance silencieuse. Le médecin n’a plus rien à ajouter et visiblement, il ne sait pas quoi dire pour nous réconforter. Il n’y a rien à dire dans ces moments-là. Le médecin nous quitte après s’être assuré que nous allons quand même bien. Maman retrouve son amie et lui annonce les mauvaises nouvelles. Alertée par le médecin, j’imagine, la travailleuse sociale vient nous voir pour l’histoire de passe de stationnement mais aussi pour voir quel genre d’aide nous avons besoin. Ça nous change légèrement les idées.

Nous retournons voir Nicolas et passons la fin de l’après-midi auprès de lui. On lui a mis un flot d’air dans les narines pour l’aider à mieux respirer. Le temps passe et le cardiologue vient nous voir. Au moins, avec l’échographie cardiaque fœtale, nous sommes confiant que le cœur va bien. Encore une fois, on nous dit que c’est généralement beau mais (il y a toujours un mais avec Nicolas) quelques structures entre la phase fœtale et les premières heures de naissance devraient se refermer, mais ce n’est pas le cas pour Nicolas. Ça arrive fréquemment chez les nouveau-nés nous  rassure le cardiologue.  Ça devrait se replacer tout seul. Une autre échographie cardiaque devra cependant être faite dans le futur pour s’en assurer. On nous apprend que l’IRM sera effectuée le lendemain vers 9 :00 AM. Pour nous c’est la date butoir, le moment où nous saurons à quel point le cerveau est affecté.

Inutile de dire que cette nuit-là, nous n’avons pas bien dormi. Jouer avec Anabelle nous prend plus de forces qu’à l’habitude. Maman et moi avons beau nous serrer l’un contre l’autre, on dirait que ce n’est plus suffisant. Nous avons la tête pleine d’images  de ce que serait notre vie, ce que serait la vie de Nicolas, la vie d’Anabelle. Tranquillement  l’idée d’avoir un garçon très différent fait son chemin. Nous nous demandons juste à quel point il sera différent et nous ne pouvons qu’espérer le mieux. Mais en même temps nous imaginons que l’hôpital nous appelle pour nous apprendre que Nicolas n’a pas passé la nuit. Juste cette idée me remplit les yeux de larmes, mais en même temps, j’ai l’impression que ce serait un immense soulagement. Pour moi? Pour nous? Pour Nicolas? Il y a tellement d’idées contradictoires qui nous passent par la tête. Le désespoir est à son comble.

 

5 commentaires:

  1. Je n'ai pas de mots pour exprimer le sentiment que
    je ressent face à la douleur que vous vivez présentement. Je pense à vous très fort

    France xxx

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  2. Merci France. Nous avons un support morale autour de nous extraordinaire et ça nous aide énormément.

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  3. Francois, depuis que j'ai appris ce qui se passe, je pense a vous en tout temps, mais parfois j'ai des moments quand tout cela semble si ireel que j'ai l'espoir fou que c'est peut-etre seulement un cauchemar... Je n'ose pas dire que je comprends votre douleur en ce moment, mais je suis pres de vous de tout mon coeur.

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  4. Bonjour François,
    Quelques mots pour te dire que nous pensons beaucoup à vous 2, à Anabelle et à Nicolas.
    Catherine (soeur de Marie-Hélène) et Yves

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  5. À Vesper & Catherine

    Merci pour vos pensées. Les émotions sont moins vives, le temps fait son oeuvre tranquillement.

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