-----------------------------------------
Chronique
4 : De l’espoir au désespoir
Jeudi
28 février 2013Le lendemain matin, nous nous réveillons comme si c’était une journée ordinaire. La routine se réinstalle rapidement. Déjeuners, habillage d’Anabelle, babounes d’Anabelle (elle a 2 ans et demi en plein terrible two, cette réalité-là aussi est revenu rapidement). Nous la reconduisons à la garderie et prenons le chemin de l’hôpital. Nous reprenons nos visages de parents de Nicolas et laissons derrière notre masque de parents d’Anabelle. L’ambiance dans la voiture s’assombrit, il n’y a que le bruit de fond de la radio, nous parlons que très peu.
Nous
recevons aujourd’hui la visite d’une amie de maman, une collègue de travail.
Cette dernière a l’expérience d’avoir un
enfant différent, avec un syndrome
génétique et présentant une déficience intellectuelle.
À
notre arrivée, l’infirmière est assise en train de donner le biberon à Nicolas.
Elle nous dit qu’il a passé une bonne nuit, a bu au biberon 50 ml de lait préparé, le matin même. Nous sommes très contents, c’est un beau progrès. Par
contre, nous remarquons qu’il a un tube dans le nez. L’infirmière nous dit que
la nuit passée, Nicolas était trop endormi pour prendre le biberon alors ils
ont été obligé de lui installer un tube de gavage et le nourrir ainsi. Nous
sommes un peu déçus. Nous demandons si maman peut lui donner le sein pour
compléter son boire. Nicolas ne veut rien savoir. Après le beau succès de la
journée précédente, ceci constitue pour nous un recul. La déception se lit dans
le visage de maman. De plus je remarque que Nicolas n’a pas l’air bien. Même
quand il dort, ça ne semble pas être un sommeil paisible. Il grimace, se
tortille.
On
nous annonce aussi que Nicolas a eu un test de rayon X. Ils n’ont rien remarqué
de vraiment spécial, sauf un petit quelque chose de mineur à une vertèbre
(encore un autre truc mineur!). Mais les poumons sont corrects au moins.
Une
échographie cardiaque de contrôle est faite sur Nicolas. En même temps, maman
s’occupe de la seringue de gavage. C’est à partir de ce moment que cette
journée a pris une allure de cauchemar.
Pendant
l’échographie, Nicolas s’est mis à désaturer (perte d’oxygène). Sa peau prenait
une couleur bleutée-violette et il arrêtait de respirer. Les infirmières
rapidement se sont mises à lui faire un massage et lui donner de l’oxygène
supplémentaire. C’est déjà assez
traumatisant de voir son enfant arrêter de respirer, mais quand ça arrive cinq
fois de suite, ça en devient presque insupportable. C’est à ce moment que maman et moi nous nous
sommes regardé. Pas besoin de parler, nos yeux se comprennent. C’est maman qui
exprime en premier ce sentiments qui nous habite : ''Ils devraient le
laisser partir, ça n’a pas de bon sens.'' Et moi de répondre simplement :
''oui''. Je la serre dans mes bras pour tenter de lui apporter un peu de réconfort.
Les
infirmières réussissent à le stabiliser et ne comprennent pas pourquoi il fait
ça. Maman va rejoindre son amie et moi je reste auprès de Nicolas. Le médecin
vient le voir. Les infirmières racontent ce qui s’est passé. Au même moment,
Nicolas désature une fois de plus. Quand Nicolas arrête de respirer, il ne
montre aucun signe caractéristique. Le médecin ne comprend pas trop pourquoi,
mais il me dit que chez les nouveaux nés, il est très difficile de déceler une
convulsion par des signes physiques. Il demande que l’on fasse un EEG
(électroencéphalogramme) et une IRM le plus tôt possible.
Après
toutes ces émotions nous trouvons la force d’aller dîner. L’amie de maman nous
raconte son expérience avec son enfant avec déficience intellectuelle :
les hauts, les bas, les joies et les peines. Elle nous confirme par le fait
même que toutes les émotions contradictoires que nous éprouvons sont normales
dans notre situation : déni, colère, même le souhait de le voir partir de
lui-même pour abréger ses souffrances.
Le
temps file et finalement, le médecin de garde vient nous rejoindre dans la
petite salle à dîner dédiée aux parents de l’unité et fait sortir toutes les
autres personnes s’y trouvant. Nous sommes maintenant seuls avec lui et
l’infirmière s’occupant de Nicolas. Ça n’annonce rien de bon. Le cœur nous
serre.
Le
médecin nous confirme que l’EEG montre que Nicolas fait des convulsions. La
nouvelle nous jette à terre. C’est maintenant officiel, ce que nous redoutions
le plus se produisait : le cerveau était atteint. Maman peine à retenir
ses larmes et je ne fais guère mieux. Le médecin nous parle de ce qui peut se
passer dans son cerveau et comment les convulsions peuvent causer des arrêts
respiratoire. Pour être franc, j’écoute à peine. Une seule idée me trotte dans
la tête, je n’ai qu’une seule question à poser au médecin et je ne sais même
pas si j’aurai le courage de m’exprimer tellement je trouver l’idée d’une
cruauté inimaginable. Le genre de chose qu’on ne penserait jamais à demander.
J’amorce
finalement ma question sans savoir si j’aurai le courage de la terminer. Au
milieu de ma phrase, je sanglote, ma voix tremble. Je tente de me ressaisir. Je
ne me rappelle plus vraiment les mots exacts, mais c’était à peu près
ceci : '' Est-ce qu’il y a un moment où on peut décider de laisser faire,
que c’est assez?''. C’était la première fois que j’exprimais tout haut l’idée de
voir mon fils mourir ou même de prendre la décision de le laisser mourir. En même temps, je sens tout le poids de la
culpabilité de pouvoir même évoquer une chose pareille. Je suis tiraillé entre
l’instinct parental, la lourdeur de la tâche d’élever un tel enfant, la
souffrance que je semble lire sur le visage de Nicolas.
Le
médecin prend ma question au sérieux et me dit que c’est en fait très à propos
comme question. Il nous explique ce qui est légal et non légal, dans quelles
circonstances on peut prendre cette décision, c’est-à-dire uniquement si
l’enfant est dépendant de la technologie. Il nous renverse la question à savoir
qu’un jour il pourrait nous demander lui-même s’il doit continuer à s’acharner
pour le réanimer à multiples reprises.
Maman
finit par sortir son trop plein d’émotion en laissant échapper un cri et en
s’effondrant en larmes et en pleurs. Elle demande au médecin quel genre de vie
Nicolas pourra avoir. Celui-ci n’a pas de réponse à nous donner. Maman a alors
un courage inouïe, un courage que moi je n’aurais jamais eu, peut-être parce
que je suis un gars, mais elle demande de l’aide psychologique. Elle le demande
pour elle, pour moi, pour nous, pour Nicolas, pour Anabelle. Elle sait que nous
ne passerons pas au travers sans aide et support. Les amis et la famille ne
seront pas suffisants. Je l’en suis reconnaissant d’avoir eu cette force-là à
ce moment.
Nous
finissons par nous calmer un peu dans une ambiance silencieuse. Le médecin n’a
plus rien à ajouter et visiblement, il ne sait pas quoi dire pour nous
réconforter. Il n’y a rien à dire dans ces moments-là. Le médecin nous
quitte après s’être assuré que nous allons quand même bien. Maman retrouve son
amie et lui annonce les mauvaises nouvelles. Alertée par le médecin, j’imagine,
la travailleuse sociale vient nous voir pour l’histoire de passe de
stationnement mais aussi pour voir quel genre d’aide nous avons besoin. Ça nous
change légèrement les idées.
Nous
retournons voir Nicolas et passons la fin de l’après-midi auprès de lui. On lui
a mis un flot d’air dans les narines pour l’aider à mieux respirer. Le temps
passe et le cardiologue vient nous voir. Au moins, avec l’échographie cardiaque
fœtale, nous sommes confiant que le cœur va bien. Encore une fois, on nous dit
que c’est généralement beau mais (il y a toujours un mais avec Nicolas) quelques
structures entre la phase fœtale et les premières heures de naissance devraient
se refermer, mais ce n’est pas le cas pour Nicolas. Ça arrive fréquemment chez
les nouveau-nés nous rassure le
cardiologue. Ça devrait se replacer tout
seul. Une autre échographie cardiaque devra cependant être faite dans le futur
pour s’en assurer. On nous apprend que l’IRM sera effectuée le lendemain vers
9 :00 AM. Pour nous c’est la date butoir, le moment où nous saurons à quel
point le cerveau est affecté.
Inutile
de dire que cette nuit-là, nous n’avons pas bien dormi. Jouer avec Anabelle
nous prend plus de forces qu’à l’habitude. Maman et moi avons beau nous serrer
l’un contre l’autre, on dirait que ce n’est plus suffisant. Nous avons la tête
pleine d’images de ce que serait notre
vie, ce que serait la vie de Nicolas, la vie d’Anabelle. Tranquillement l’idée d’avoir un garçon très différent fait
son chemin. Nous nous demandons juste à quel point il sera différent et nous ne
pouvons qu’espérer le mieux. Mais en même temps nous imaginons que l’hôpital
nous appelle pour nous apprendre que Nicolas n’a pas passé la nuit. Juste cette
idée me remplit les yeux de larmes, mais en même temps, j’ai l’impression que
ce serait un immense soulagement. Pour moi? Pour nous? Pour Nicolas? Il y a
tellement d’idées contradictoires qui nous passent par la tête. Le désespoir
est à son comble.
Je n'ai pas de mots pour exprimer le sentiment que
RépondreSupprimerje ressent face à la douleur que vous vivez présentement. Je pense à vous très fort
France xxx
Merci France. Nous avons un support morale autour de nous extraordinaire et ça nous aide énormément.
RépondreSupprimerFrancois, depuis que j'ai appris ce qui se passe, je pense a vous en tout temps, mais parfois j'ai des moments quand tout cela semble si ireel que j'ai l'espoir fou que c'est peut-etre seulement un cauchemar... Je n'ose pas dire que je comprends votre douleur en ce moment, mais je suis pres de vous de tout mon coeur.
RépondreSupprimerBonjour François,
RépondreSupprimerQuelques mots pour te dire que nous pensons beaucoup à vous 2, à Anabelle et à Nicolas.
Catherine (soeur de Marie-Hélène) et Yves
À Vesper & Catherine
RépondreSupprimerMerci pour vos pensées. Les émotions sont moins vives, le temps fait son oeuvre tranquillement.