lundi 8 avril 2013

Comment j'ai Souhaité la Mort de mon Fils (XVII)

Il y a des fois où la réalité dépasse toutes les fictions que l'on aurait pu imaginer. Il y a peut-être pire, ce n'est peut-être pas hors du commun, mais ceci est notre histoire, notre cauchemar.

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Chronique 17 : Le Temps

Lundi 1er Avril – Vendredi 5 avril

Le matin du premier avril, pour la première fois, nous assistons à sa première prise de médicament de la journée. Quand nous voyons l’infirmière arriver avec sa poignée de seringues et les injecter en rafale à Nicolas, nous en restons abasourdis. Nous savions qu’il en prenait beaucoup, mais en le voyant, on se rend compte à quel point ce petit être est dans une situation insoutenable. Ça commence presque à ressembler à de l’acharnement thérapeutique. Au moins, Nicolas est stable pour le moment, ils servent  donc à quelque chose.

Avant de repartir, nous rencontrons le médecin de Nicolas qui nous explique encore une fois la situation. Selon lui, Nicolas semble nous montrer dans quelle direction il s’en va. Ça nous confirme ce que nous pensions déjà. Il nous demande si on doit aider notre fils en donnant de l’air lors d’éventuelles convulsions, le temps qu’il se stabilise à nouveau. Dans l’optique où sa condition se détériore, ça ne ferait qu’éterniser l’agonie.

Nous le quittons alors pour aller rejoindre mamie, papi, mon frère et Anabelle, car nous passons ce lundi de Pâques au Biodôme et à l’Insectarium. C’est supposément pour nous changer les idées, mais c’est plus facile à dire qu’à faire.

Mardi, c’est le retour à la routine. Moi au travail et maman à l’hôpital. Rien de nouveau ne se passe. Nicolas est toujours stable. Même chose pour mercredi. Nous commençons à nous demander si Nicolas est vraiment embarqué dans une spirale dégradante ou bien s'il est maintenant vraiment stable. Il respire bien tout seul et il ne désature plus avec son troisième anticonvulsivant.

Jeudi, je retourne à l’hôpital pour prendre mes prises de sang et pour passer la journée avec maman et Nicolas. Ce dernier passe un test de radiofluoroscopie ou quelque chose du genre. Bref, ça permet de voir en direct le passage du lait dans la gorge. L’ergothérapeute veut s’assurer qu’il n’y a pas de liquide qui passe tout droit dans ses voies respiratoires sans qu'il ne réagisse. Nicolas nous fait une grosse désaturation dès les premières gorgées, mais il se ressaisit tout seul. Par la suite, le test confirme que le lait liquide dévie en petites quantités dans ses voies respiratoires et qu’il serait donc imprudent de lui donner du lait ordinaire. Par contre, si le lait est plus épais, il ne semble pas y avoir de problèmes. Nous pourrons donc recommencer à donner le biberon à Nicolas en petites quantités à partir du lendemain.

Nous tentons aussi de parler à l’infirmière de soutien aux familles, car nous avons vraiment beaucoup de questions. Autant lundi et mardi nous commencions à nous demander quel genre de funérailles nous devrions faire pour lui, autant aujourd’hui, cette réalité nous semble vraiment lointaine. Nous ne savons vraiment plus sur quel pied danser et c’est cette incertitude qui nous tue. C’est comme si à chaque semaine, nous faisions un pas en avant et un pas en arrière. Toute cette situation stagne. Rien ne progresse. Nous sommes toujours dans l’attente.

Le vendredi, maman tente de donner le biberon de lait épaissis à Nicolas, sans grand succès. Il en prend quelque peu, mais on dirait que le lait est trop épais pour sortir de la tétine. Nicolas refait aussi son test audiologique. Cette fois-ci le résultat semble démontrer qu’il n’entend pas des deux oreilles. L’infirmière nous dit que ça pourrait seulement être un bouchon ou un peu de liquide qui obstrue les canaux. Le test sera donc à refaire une autre journée, mais il devra fort probablement être suivi par un audiologiste. (Quelle surprise!)

On nous annonce maintenant ce genre de nouvelles et nous le recevons sans réelle réaction émotive. C’est l’effet du temps qui passe, ce temps qui banalise ce qui était auparavant inconcevable. Depuis le début on nous répète (et on se répète nous-même) de laisser le temps faire les choses. Il nous aidera à y voir plus clair, à accepter la situation, à cheminer. Tout ça est vrai. Nous sommes plus en mesure de relativiser la situation. Notre cheminement s’est fait petit à petit, nos pensées sont plus rationnelles et un peu moins émotives. Nous nous connaissons plus, nous connaissons davantage Nicolas. Mais le temps a aussi un effet pernicieux. Il laisse languir les choses et il peut se permettre d’attendre la moindre faiblesse pour éroder même la plus solide des fondations, pour effriter la base de nos certitudes, pour immiscer un doute. Le temps peut aussi avoir raison de nous, de notre entourage et du lien qui nous unit. Il faut alors redoubler d’ardeur avec une énergie qui nous manque cruellement pour s’assurer de pallier ces faiblesses, en espérant que les dommages ne soient pas trop graves et irréversibles.

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